S'enfuir. Loin. Disparaître. Vers la liberté. C'était tout ce qui lui tournait dans la tête. Il était né enfermé, il s'était libéré, les humains l'avaient rattrapé. Il n'avais jamais eu foi en l'humanité, cette espèce inférieure qui se croyait mieux que tout et qui se mentait à elle même. Des êtres répulsifs, ayant pour valeurs l'arrogance, l'égocentrisme, la vanité, le mensonge et la tromperie. Il les haïssait plus que tout, eux qui vivaient pour l'argent, la réussite, les plaisirs sales, qui n'avaient d'yeux que pour eux et leur image, sans se préoccuper de leur fond malsain et répugnant, qui fuyaient l'individualisme et les différences pour une attitude de troupeau, semblables aux moutons, suivant une idéologie de mode et d'uniformisation. Et chaque personne qui s'écartait du modèle était rejetée et punie pour un crime qui n'était que le bien. Lui ne se sentait pas appartenir à cette race, dès sa naissance personne n'avait voulu de lui, pas même ses parents, qui avaient préféré se débarrasser de ce monstre solitaire et isolé. Il avait grandi et vécu seul, en retrait des hommes et de leur société ignoble. Il avait appris à lire et à écrire auprès d'un skinhead néonazi, qui lui avait au passage enseigné l'art de tuer. A l'âge de 15 ans, il avait fait le choix de vivre pour la mort de ses ennemis et sa liberté d’esprit. Il avait mené sa mission à bien, de manière cruelle mais raisonnée, guidé par ses idées et la vérité, la seule. Puis un jour, il avait vu le bonheur apparaître dans sa vie. Mais ce bonheur était contraire à tout pour lui, et lentement, il s'empoisonnait, commençant à perdre ses convictions et bravant ses interdits. Il s'était obstiné, se mentant à lui même, devenant un de ces humains. Cette pensée le dégouttait tant qu'il avait décidé d'y remédier. Il remplaça le bonheur par le malheur, la fierté par les doutes et les remords. Ce jour là, il avait découvert un nouveau jeu, sadique mais enivrant. Et depuis, chacun de ses actes était dicté par le souvenir, la vengeance et la folie. La lutte contre la race humaine était devenue une guerre sans pitié, un besoin sanguinaire. Son esprit, jusque là clair et ordonné, s'était transformé en un emmêlement de haine, de colère et de violence, atteint par le mal qui le rongeait jusqu’au plus profond, décimé par ses idées aussi noires que son cœur saignant sans arrêt. Il était sorti de l'ombre pour assombrir le monde. Son surnom était apparu partout, dans les journaux, à la télévision, et dans l'angoisse de la population. De prédateur de tous, il était passé à prédateur pourchassé et proie de tous. Mais cela ne l'avait pas empêché, bien au contraire. Il se savait entendu, peut être pas écouté, mais son message était passé. Il avait poursuivi son combat en s'enfonçant dans ses qualités devenues des défauts, jusqu'au jour où il avait commis sa pire erreur. La tendresse avait surpassé la cruauté, il était devenu faible, et cette faute lui avait été fatale. Il avait été piégé par les hommes, qui l'avaient condamné pour sa raison et l'avaient enfermé dans cet endroit froid empli d'humains anormaux. On le disait fou. Mais être inadapté dans un monde de malades est une preuve de bonne santé mentale. Dormir était devenu une épreuve insupportable pour lui. Chacun de ses songes était peuplé de souvenirs, bons comme mauvais, ils ne faisaient que le torturer. Il se réveillait souvent à la suite d'un rêve trop clair, et au final, il ne dormait plus. Il se forçait à rester éveillé tout le temps, et quand la fatigue accumulée au cours des semaines finissait pas avoir raison de lui, ses cauchemars l'extirpaient au bout de quelques demi heures. Au fil des mois, son corps s'était habitué à ce rythme de vie malsain, et malgré les marques profondes de son manque de sommeil qui avaient définitivement pris place sur son visage, il n'en vivait pas plus mal. Passer ses nuits à écouter les riffs endiablés des groupes norvégiens qu'il écoutait le rendait heureux, et dès que le jour se levait, il soupirait en se demandant quelle nouvelle épreuve il allait devoir supporter dans ce monde empli d'êtres impurs qui lui donnaient la nausée. Les infirmières de l'asile le prenaient pour le pire patient de l’hôpital, un cinglé fini, dont la mort n’atteindrait personne. Mais elles avaient peur, peur de cet être inhumain, ce monstre possédé, dont les mouvements de tête récurrents faisaient onduler ses cheveux longs au rythme de cette musique violente. Ce matin là, le directeur de l’hôpital reçu la nouvelle directive du gouvernement, qui promettait un « changement radical dans la politique des asiles ». Il la lu rapidement, puis se leva rapidement de son siège. Il demanda à l'infirmière en chef de le rejoindre et lui expliqua le contenu de la lettre. La jeune femme sourit, et questionna son supérieur sur l'heure de la réalisation de son projet. Il lui promit qu'à minuit, la terreur aurait disparu. Elle repartit dans la salle des médicaments, sortit une clé de sa poche et ouvrit une armoire. Ses yeux passèrent en revue tous les flacons disposés de part et d'autre sur les étagères poussiéreuses, et ses mains attrapèrent une petite fiole au verre teinté. Elle referma l'armoire et se dirigea vers les cuisines de l'établissement, où le repas du midi était sur le point d'être préparé. Elle prit un bol, une louche qu'elle remplit de soupe, puis versa quelques gouttes de produit dedans. Il ne manquait plus qu'à faire mordre le malade à l'hameçon. Ce qui semblait la tâche la plus ardue compte tenu de sa méfiance parfois excessive. La sonnerie du midi retentit dans les bâtiments et bientôt, tous les occupants de l'asile se pressèrent en file, plateau à la main. Lui seul restait là, debout, droit au milieu du réfectoire, attendant que tous ces chacals aient fini de se servir pour aller chercher les maigres restes qui lui étaient destinés comme à chaque fois. L'infirmière respira un grand coup et se dirigea vers lui, tenant le bol de soupe fermement dans ses doigts moites. « Tenez, je sais que ce n'est pas beaucoup, mais j’aimerais bien que vous vous nourrissiez un peu plus » Sa voix tremblait, et il l’avait remarqué, c'est pourquoi il la regarda d'un regard terrifiant, cherchant à sonder son esprit à travers les crispations de ses traits faciaux. Elle fit un pas en arrière, impressionnée par la force bestiale libérée par l'homme et son allure imposante. Il finit par prendre le bol et le porta à ses lèvres. Elle regardait sa victime goûter à sa mort lentement, à petites gorgées, comme s'il savait ce qu'il contenait et que malgré tout il se dirigeait tout droit vers son destin funeste prévu par tous les grands de ce pays. Il bu les dernières gouttes et rendit le bol à la frêle créature qui se tenait toujours devant lui, la bouche agitée de soubresauts nerveux. Il fit demi tour et repartit dans sa chambre, la faim était tellement inexistante dans son corps que la soupe avait réussi à le contenter. Il redémarra sa chaine hifi, sélectionna un album de Samael et s'allongea sur son lit, son ventre légèrement lourd. Cette impression de poids s’accentua au fil des chansons, et bientôt il fut pris de fortes nausées. Des spasmes agitaient son estomac, il se tordait sur les draps, commençant à geindre de douleur. Il luttait contre le mal qui le rongeait de l'intérieur, essayant de puiser dans le peu d'énergie vitale qu'il lui restait après la destruction volontaire de son organisme. Mais la substance chimique eu raison de lui, et tandis qu'il se battait encore et encore, ses membres se raidirent lentement, ne répondant plus aux messages nerveux envoyés par son cerveau, il avait l’impression de se liquéfier, de fondre sans pouvoir rien faire. Ses yeux se fermèrent malgré lui, il plongea dans un gouffre sans fond. Plus aucun son, plus aucune image, plus aucune sensation ne le traversa. N'importe qui aurait pu hacher lentement ses doigts, lui arracher les yeux sans qu'il ne le sente. La léthargie profonde dans lequel il était plongé ne lui permettait plus de penser et de réfléchir, il était comme mort. Seul des bribes de sa vie passée parvenaient encore à l'atteindre. Il ne vit d'abord que du noir, puis à travers cette épaisse fumée, il regarda se distinguer avec une lenteur infinie un visage. Ce visage, il le connaissait, mais il lui était impossible de mettre un nom ou un rôle dessus. Juste cette sensation de familiarité et de déjà vu, et de souvenirs lourds. Sa raison lui revint, il revit la chambre baignée de lumière printanière, elle couchée sur le dos, le fixant de ses yeux bleus profonds, lui allongé sur son corps mince. Ses cheveux blonds brillaient à la lumière du soleil qui passait par les fenêtres de la pièce, ses lèvres rosées appelant les siennes dans une mélodie silencieuse. Sa peau blanche était si lisse et douce, il ne pouvait s'arrêter de la caresser partout. Il se pencha vers sa bouche, et délicatement, il y rentra sa langue, allant chercher au plus profond celle de sa partenaire, se délectant de la sensualité des lèvres qui l'embrassaient. Et ils restèrent là pendant un temps qui lui paru durer jusqu'à la fin de tout, lorsqu'il se sentit pleurer. Elle lui manquait plus que tout, elle qui avait été la seule pour lui, mais qu'il avait décidé d'abandonner à jamais en commettant son acte le plus terrible. Il s'en voulait, encore plus qu'il n'en faut pour mourir, mais il ne voulait pas se tuer, il ne voulait pas la rejoindre. Il voulait souffrir éternellement, se torturer comme c'est impossible, parce que rien ne pourrait le punir assez pour ce qu'il avait fait. Son corps inerte contenait encore tout le désespoir qu'il avait accumulé au fil des années, et il y eu bien un moment où toute sa tristesse sortit de son esprit. Il n'était pas mort, il n'était pas vivant, il flottait dans le néant, physiquement il ne vivait plus, mais son esprit était toujours présent, vif et tourmenté. Son dernier souvenir d'elle était celui de son corps déchiqueté, baignant dans son sang, porté par son meurtrier qui l'avait aimé et qu'elle avait aimé, ébahit par l’atrocité qu'il venait de commettre, tenant son cœur dans sa main gauche, et son poignard dans la main droite. Cette pensée lui arracha toutes les larmes de ses yeux, et un hurlement sorti de sa gorge. Du moins, il pensait que cela se passait ainsi. Mais rien n'était sur, rien n'était clair dans cette immensité de douleur.